Appel du 8 mars 2004

Appel des Résistants aux jeunes générations
8 mars 2004

« Créer, c’est résister. Résister, c’est créer »

« Créer, c’est résister. Résister, c’est créer »

Au moment où nous voyons remis en cause le socle des conquêtes sociales de la Libération, nous, vétérans des mouvements de Résistance et des forces combattantes de la France Libre (1940-1945), appelons les jeunes générations à faire vivre et retransmettre l’héritage de la Résistance et ses idéaux toujours actuels de démocratie économique, sociale et culturelle.

Soixante ans plus tard, le nazisme est vaincu, grâce au sacrifice de nos frères et sœurs de la Résistance et des nations unies contre la barbarie fasciste. Mais cette menace n’a pas totalement disparu et notre colère contre l’injustice est toujours intacte.

Nous appelons, en conscience, à célébrer l’actualité de la Résistance, non pas au profit de causes partisanes ou instrumentalisées par un quelconque enjeu de pouvoir, mais pour proposer aux générations qui nous succéderont d’accomplir trois gestes humanistes et profondément politiques au sens vrai du terme, pour que la flamme de la Résistance ne s’éteigne jamais :

– Nous appelons d’abord les Ă©ducateurs, les mouvements sociaux, les collectivitĂ©s publiques, les crĂ©ateurs, les citoyens, les exploitĂ©s, les humiliĂ©s, Ă  cĂ©lĂ©brer ensemble l’anniversaire du programme du Conseil national de la RĂ©sistance (C.N.R.) adoptĂ© dans la clandestinitĂ© le 15 mars 1944 : SĂ©curitĂ© sociale et retraites gĂ©nĂ©ralisĂ©es, contrĂ´le des  » fĂ©odalitĂ©s Ă©conomiques  » , droit Ă  la culture et Ă  l’éducation pour tous, presse dĂ©livrĂ©e de l’argent et de la corruption, lois sociales ouvrières et agricoles, etc. Comment peut-il manquer aujourd’hui de l’argent pour maintenir et prolonger ces conquĂŞtes sociales, alors que la production de richesses a considĂ©rablement augmentĂ© depuis la LibĂ©ration, pĂ©riode oĂą l’ Europe Ă©tait ruinĂ©e ? Les responsables politiques, Ă©conomiques, intellectuels et l’ensemble de la sociĂ©tĂ© ne doivent pas dĂ©missionner, ni se laisser impressionner par l’actuelle dictature internationale des marchĂ©s financiers qui menace la paix et la dĂ©mocratie.

– Nous appelons ensuite les mouvements, partis, associations, institutions et syndicats hĂ©ritiers de la RĂ©sistance Ă  dĂ©passer les enjeux sectoriels, et Ă  se consacrer en prioritĂ© aux causes politiques des injustices et des conflits sociaux, et non plus seulement Ă  leurs consĂ©quences, Ă  dĂ©finir ensemble un nouveau  » Programme de RĂ©sistance  » pour notre siècle, sachant que le fascisme se nourrit toujours du racisme, de l’intolĂ©rance et de la guerre, qui eux-mĂŞmes se nourrissent des injustices sociales.

– Nous appelons enfin les enfants, les jeunes, les parents, les anciens et les grands-parents, les Ă©ducateurs, les autoritĂ©s publiques, Ă  une vĂ©ritable insurrection pacifique contre les moyens de communication de masse qui ne proposent comme horizon pour notre jeunesse que la consommation marchande, le mĂ©pris des plus faibles et de la culture, l’amnĂ©sie gĂ©nĂ©ralisĂ©e et la compĂ©tition Ă  outrance de tous contre tous. Nous n’acceptons pas que les principaux mĂ©dias soient dĂ©sormais contrĂ´lĂ©s par des intĂ©rĂŞts privĂ©s, contrairement au programme du Conseil national de la RĂ©sistance et aux ordonnances sur la presse de 1944.

Plus que jamais, à ceux et celles qui feront le siècle qui commence, nous voulons dire avec notre affection :

« Créer, c’est résister. Résister, c’est créer ».

Signataires :
Lucie Aubrac, Raymond Aubrac, Henri Bartoli, Daniel Cordier, Philippe Dechartre, Georges Guingouin, Stéphane Hessel, Maurice Kriegel-Valrimont, Lise London, Georges Séguy, Germaine Tillion, Jean-Pierre Vernant, Maurice Voutey.

Les personnalités de la Résistance signataires de cet Appel du 8 mars 2004 (réunis suite à une invitation du mouvement ATTAC) sont :
Lucie AUBRAC, décédée le 14 mars 2007, enseignante, co-fondatrice du mouvement résistant « Libération », prend la tête d’un commando armé pour libérer son mari arrêté à Lyon par la Gestapo. A la Libération, elle est chargée de superviser l’installation des comités départementaux de Libération (notamment à Nantes).
Raymond AUBRAC, décédé le 10 avril 2012, ingénieur, co-fondateur de « Libération-Sud », membre de l’Etat-major de l’Armée secrète, arrêté deux fois, commissaire de la République à Marseille (préfet régional) lors de la Libération.
Henri BARTOLI, décédé le 1er octobre 2008, résistant alors qu’il est lycéen et étudiant, diffuse « Témoignage chrétien » clandestin et des faux-papiers, travaille au sein du CNR sur la politique économique d’après-guerre.
Daniel CORDIER, parachuté en France occupée, principal adjoint et secrétaire de Jean Moulin, fondateur du CNR (Conseil national de la Résistance)
Philippe DECHARTRE, décédé le 7 avril 2014, résistant, membre des cercles de gaullistes historiques, plusieurs fois ministre et député après la guerre.
Georges GUINGOUIN, décédé le 27 octobre 2005, instituteur, résistant dès l’été 1940, prend la tête des maquis de la région de Limoges (jusqu’à 20 000 combattants), ville qui est libérée sans attendre les Alliés, maire de Limoges après la guerre.
Stéphane HESSEL, décédé le 27 février 2013, jeune allemand naturalisé français avant la guerre, rejoint de Gaulle en 1941, chargé de mission en France occupée, arrêté en juillet 1944 et déporté à Buchenwald puis Dora. Carrière d’ambassadeur après la guerre. Militant antiraciste.
Maurice KRIEGEL-VALRIMONT, décédé le 2 août 2006, syndicaliste avant la guerre, membre du Comité militaire du CNR, responsable militaire de la libération de Paris avec Rol-Tanguy. Député communiste après la guerre.
Lise LONDON, décédé le 31 mars 2012, ancienne des Brigades Internationales dans l’Espagne républicaine, capitaine dans la Résistance, ancienne déportée à Ravensbrück, épouse d’Arthur London (ministre tchèque victime du stalinisme en 1952).
Georges SÉGUY, décédé le 13 août 2016, ouvrier-imprimeur, résistant au sein des Francs-Tireurs et Partisans Français, arrêté en 1944, déporté au camp de Mauthausen, dirigeant syndicaliste après la guerre.
Germaine TILLION, décédée le 19 avril 2008, ethnologue spécialiste de l’Algérie avant la guerre, chef du réseau de Résistance du Musée de l’Homme, déportée à Ravensbrück, militante humaniste et anticolonialiste après la guerre
Jean-Pierre VERNANT, décédé le 9 janvier 2007, grand historien spécialiste de la Grèce antique, étudiant antifasciste avant la guerre, résistant dès 1940, organisateur militaire, libérateur de Toulouse avec ses camarades.
Maurice VOUTEY, décédé le 2 mai 2012, résistant, déporté à Dachau puis dans les camps du Neckar. Actuellement secrétaire général de la Fédération nationale des déportés et internés résistants patriotes (FNDIRP)